La
passion a dominé ma vie. Celle-ci s'achèvera, riche de
combats et d'émotions, ma seule richesse, avec tous ces souvenirs
que j'en garde, presque toujours exceptionnels, et qui parfois encore
me hantent, douloureusement. Des vivants et des morts se sont emparés
de tout mon être. Ils m'ont poursuivi et ils demeurent en moi.
Je leur ai voué les sentiments les plus forts et les plus contradictoires.
J'ai aimé et detesté dans de graves circonstances. Je
n'ai pas le droit de l'oublier.
J'ai
abordé la politique non pas en quittant mon métier, mais
en l'exerçant. Il m'a conduit à elle par la violence des
événements, en l'exerçant. Il m'a conduit à
elle par la violence des événements, par les combats les
plus divers contre les pouvoirs au nom de la conception que je me suis
faite de la justice. Ma force a été d'être toujours
du côté des prisonniers, quels qu'ils soient, s'ils me
demandaient de les assister.
Ma
fierté sera d'être demeuré libre, encore que la
liberté ait été pour moi un risque grave dans un
pays où elle est conçue comme la nôtre.
Elle
m'aura permis d'être, pendant quarante ans, sans que je l'eusse
cherché, le témoin de choses exécrables et criminelles,
que je n'ai pu empêcher. Elles s'accomplissaient sous le masque
de la Justice, parfois vêtue de robes rouges ou de défroques
militaires. J'ai alors pensé que c'était un devoir pour
moi de témoigner.
Avant
de poser définitivement la plume dont j'ai peut-être abusé,
je désire donc écrire, contre l'indifférence et
l'oubli, ce que fut ma destinée mêlée à tant
d'autres.
Mon
existence s'est déroulée dans un continuel contresens
; exilé à l'intérieur de mon propre pays, et, dans
le temps qui reste devant moi, je ne sais si je reviendrai jamais de
cet exil qui ne dit pas son nom. Le sort a voulu que je ne fusse qu'un
marginal dont la ligne, cependant, aura été toute droite.