14 OCTOBRE 1941

MESSAGE -

AU CONSEIL NATIONAL

Deuxième session
de la Commission de la Constitution

MESSIEURS

En ouvrant votre première session, le 8 Juillet dernier, je vous ai exposé les principes qu'une longue méditation et l'exercice du pouvoir m'ont conduit à considérer comme la base indispensable de la structure nouvelle de l'État.

Je vous ai rappelé que les malheurs de la Patrie sont venus avant tout d'un individualisme excessif, d'une fausse conception de la liberté et d'un fléchissement de la conscience nationale remplaçant trop souvent le respect du devoir par la revendication des droits. Ne considérant que l'individu, les institutions lui avaient tout subordonné. La Patrie, la Nation, la Famille la Religion étaient trop souvent méconnues et bafouées. La vie sociale était devenue une lutte ouverte entre des intérêts dressés égoïstement les uns contre les autres.

Facilement asservi par les maîtres qu'il avait l'illusion de choisir' au moyen d'élections ne pouvant ni donner une représentation exacte du pays, ni dégager des. élites, le Français n'avait plus qu'une ombre de liberté. Encore payait-il cette illusion, qui lui était chère, de tous les maux qu'engendrent le désordre et la démagogie.

Enfin, incité par les promesses électorales à revendiquer plus qu'à servir, chacun n'avait que trop pris l'habitude d'oublier les devoirs, qui sont pourtant la conséquence et la justification des droits. Peu à peu, la disparition des disciplines, la méconnaissance de la hiérarchie, l'effondrement de l'autorité avaient abouti à l'impuissance totale de l'État.

Je vous ai indiqué que, tirant la leçon du passé, la Constitution doit avant tout restaurer, dans tous les domaines, l'autorité et la hiérarchie.

Elle doit, d'autre part, réagir contre l'individualisme en s'attachant à organiser et articuler les éléments sociaux composant la Nation sous le triple signe de la Famille, du Travail et de la Patrie. Et c'est par ces éléments sociaux que devront être dégagées et sélectionnées à chaque échelon les compétences véritables appelées à jouer un -rôle essentiel dans la vie politique du pays.

IR lui appartient enfin d'exercer un rôle éducatif afin de déterminer et de hâter la renaissance morale et spirituelle indispensable au relèvement de la Nation.

je sais que, déjà, ces principes ont inspiré vos travaux. J'ai suivi de près vos débats et j'ai étudié avec grand intérêt les suggestions que vous m'avez présentées.

L'oeuvre est si vaste et votre collaboration m'est si précieuse que je vous demande de vous pencher, une fois de plus, sur les problèmes essentiels qui me paraissent nécessiter de votre part un nouvel examen.

Depuis votre précédente réunion, plusieurs grandes réformes ont été réalisées par mon Gouvernement : la charte du travail, le statut des fonctionnaires, la réforme de l'enseignement. Vous aurez à tenir compte de ces textes nouveaux ainsi que des études poursuivies par la première commission du Conseil National sur la création et l'organisation interne des provinces.

Mais l'objet de cette nouvelle session est surtout, à mes yeux, l'étude plus poussée, plus complète, des principes qui sont à la base même de la Constitution.

Sans fixer un cadre rigide à vos investigations, je vous demande de faire porter votre examen notamment sur les dispositions relatives au respect de la personne humaine, à la vie de la profession organisée, au fonctionnement des divers conseils, à la procédure de ratification de la Constitution, au statut de l'Empire.

Vous étudierez surtout l'organisation du circuit continu entre l'autorité de l'État et la confiance du peuple.

C'est, à mes yeux, le problème capital.

Il met en jeu l'organisation de la représentation et la vie des divers groupements au sein desquels devront se former les élites.

Un peuple, ai-je dit souvent, n'est pas simplement composé d'individus. Il est essentiellement une hiérarchie de familles, de professions, de communes.

C'est donc dans la réalité familiale, professionnelle, comme aussi dans la réalité communale, provinciale ou nationale, qu'il convient de rétablir le citoyen.

Ainsi se dégageront les hiérarchies, les responsabilités, les compétences.

Il ne suffira donc plus, je l'ai dit, de compter les voix : il faudra peser leur valeur.

Ces problèmes si délicats, je vous- demande de les examiner en faisant abstraction de vos préférences doctrinales, pour ne penser qu'aux réalités vivantes en face desquelles nous devons nous placer.

Il ne s'agit pas de faire revivre plus ou moins telle ou telle conception périmée, ni de sacrifier à telles ou telles erreurs, qui, parce qu'elles sont partagées par un grand nombre d'individus, n'en deviennent pas pour cela des vérités. Ce que je désire, c'est assurer une représentation réelle des forces vives du pays.

Les Assemblées nationales, régionales, départementales -ou municipales ne représenteront plus une poussière inorganique d'individus, mais la Nation elle-même avec ses cadres traditionnels. Elles seront la représentation aussi exacte que possible des forces spirituelles, morales et économiques du pays.

Je voudrais qu'on y trouvât l'écho et le reflet du cabinet du penseur, du bureau de l'écrivain, de l'établi de l'artisan, de l'atelier de l'artiste, de la boutique du commerçant, de l'usine de l'ouvrier, du champ surtout, où le patient cultivateur sème le blé,. taille la vigne, récolte les moissons.

Ainsi conçues, les assemblées ne seront plus ces arènes où l'on se battait pour conquérir le pouvoir, où se nouaient des intrigues et des combinaisons d'intérêts. Elles seront, dans l'Etat autoritaire et hiérarchique où chacun se trouve mis à sa place, les conseils éclairés du chef qui, seul, est responsable et commande,

A cette oeuvre, si essentielle pour la rénovation de la France, je vous demande encore de vous attacher, comme je le fais moi-même, avec toute votre foi.

La Constitution que nous avons le devoir de tenir prête, ne doit pas être une construction hâtive, purement juridique et abstraite.

Elle aura une âme. Elle aura un esprit. Elle fera reprendre au pays le sens et le goût de la grandeur.

Aidez-moi, par vos avis, à édifier, dans la foi patriotique et dans l'espérance, la maison qui abritera la France rayonnante de demain.

(Ce message a été lu par M. Joseph Barthélemy, Garde des Sceaux, Président de la Commission.)