J'ai attendu, avant de vous réunir,que la Charte du Travail fût promulguée.
Trop d'erreurs s'étaient, en effet, manifestées dans notre organisation sociale d'avant-guerre, pour que mon premier devoir ne fût pas d'y remédier.
L'étroite solidarité de l'économique et du social nous impose, aujourd'hui, de porter plus loin nos efforts. Ces efforts devront tendre à doter la France d'une organisation économique nouvelle, fondée sur un régime corporatif souple, harmonieux et juste.
Les exigences de l'heure me contraignent, toutefois, à ne bâtir que pour un lendemain immédiat.
De ce lendemain les perspectives sont encore sombres.
Il n'est sans doute pas en notre pouvoir de supprimer d'un trait de plume les tristes contingences - difficultés du ravitaillement, pénurie des matières premières - qui sont le legs de la guerre et de la défaite. Mais j'ai le devoir de tout tenter pour mettre de l'ordre dans l'économie française et pour l'adapter aux possibilités que lui offrent la Métropole, l'Empire et le Monde.
La guerre nous a conduits à adopter un régime d'économie dirigée, dont nous n'avons su prévoir à temps ni le dispositif, ni les exigences. Aussi avons-nous été contraints de ne procéder que par ajustements et par retouches aux corrections qu'imposait l'expérience de chaque jour.
Ce n'est pas à la construction définitive de cette économie que je vous convie pour le, moment. En matière économique, les conseils des hommes compétents ne sont, certes, pas moins nécessaires que la leçon
des expériences étrangères. Mais je me préoccupe moins, aujourd'hui, d'un système que d'une méthode. Et la méthode que je vous propose est celle qui m'a toujours guidé : aborder le concret, relever le moral.
C'est par le concret, c'est-à-dire par l'étude des résultats -acquis au cours d'une année d'épreuves qu'il y a lieu de commencer vos travaux.
C'est avec le souci du redressement moral qu'il convient de les poursuivre, dans un domaine où le progrès matériel s'obtient tant par des améliorations techniques que par de longs efforts d'initiative, de désintéressement et de sacrifice.
L'oeuvre de l'année qui vient de s'écoule s'est surtout résumée dans la création el dans le premier fonctionnement des comité d'Organisation, institués par la loi d 16 août 1940.
Ces comités, conçus dès l'origine, comme des organismes provisoires, puisqu'ils nt devaient être que le prélude et l'instrumen d'une organisation définitive, ont suscité de grands espoirs, donné lieu à de vastes travaux, et provoqué, comme il était inévitable, d'âpre polémiques.
J'ai tenu, dans mon message du 12 août, sans vouloir porter un jugement d'ensemble sur leur oeuvre, à relever ce qui me paraissait insuffisant, erroné ou dangereux dans l'action même de quelques-uns d'entre eux. J'ai souligné que ces erreurs et ces abus provenaient moins de l'institution elle-même que de son utilisation parfois défectueuse.
Nombreux sont ceux qui,, parmi vous, Messieurs, ont participé à l'oeuvre de ces comités, qu'ils y soient entrés, ou qu'ils les aient animés du dehors.
Vous n'ignorez pas qu'ils sont, dans leur grande majorité, constitués par l'élite de l'industrie et du commerce, c'est-à-dire par des hommes conscients de l'étendue de leurs devoirs et soucieux de travailler, en étroite union avec les pouvoirs publics, à la grandeur de notre pays.
Vous savez donc que les condamnations que j'ai portées contre les excès que permet une excessive concentration des entreprises et des capitaux, contre la volonté de puissance et de corruption de certains hommes, sont très loin ' d'atteindre tous les comités d'organisation, et que, d'ailleurs, elles s'appliquent à certains éléments qui leur sont extérieurs.
Qu'a voulu le gouvernement en édictant la loi du 16 août 1940 ?
Tout d'abord, parer à des dangers immédiats.
Les comités, devant agir vite, ne pouvaient être alors que centralisés, pour négocier avec l'Allemagne et pour éviter à tout prix la désorganisation de nos forces économiques.
Si les comités d'organisation ont pu décevoir certains espoirs, ils ont, du moins, assuré l'essentiel de leur mission. Dans nos usines, les machines tournent et la vie a continué. Si elle est ralentie, c'est que les
matières manquent, et que les échanges économiques ne sont plus normaux. Le mal a été réduit au minimum.
Les comités ne peuvent ni ne doivent se borner à ce rôle, capital certes, mais insuffisant.
Il leur faut maintenant aborder les premières tâches de direction économique prévues par la loi du 16 août.
Le problème à résoudre est délicat. Pour être efficace, une expérience de plus l'a bien montré, l'action des comités doit être suffisamment spécialisée.
De fait, on ne peut réunir avec fruit autour d'une table que des hommes ayant des préoccupations communes et parlant des mêmes choses, dans la même langue.
Cependant de nombreuses questions intéressent plusieurs comités et rendent nécessaires des groupements, d'abord par comités généraux, puis par familles.
Les relations des comités avec les Commissaires du Gouvernement ont besoin d'être mieux définies, leurs liaisons avec leurs membres mieux assurées; il n'existe pas de contrepoids utile aux décisions ou aux sanctions qu'ils prennent.
Vous savez.) aussi, que leur autorité morale gagnerait parfois à s'appuyer sur une représentation accrue des petites et moyennes entreprises,, grâce auxquelles se maintient l'équilibre social de notre pays.
Enfin, la liaison des comités avec les Chambres de Commerce et les Chambres Syndicales doit être renforcée dans le cadre général de l'organisation nouvelle.
Je n'entre pas plus avant dans l'examen des améliorations utiles. Avant que vous abordiez votre tâche, il convient que je précise les directives qui peuvent être, dès maintenant, données en matière économique.
Quel est le but ? Préparer, dans l'ordre et la méthode, l'avenir industriel et commercial de la France.
Il faut fixer des programmes de travaux, sans lesquels tout n'est que désordre et incertitude.
Il faut dresser le bilan de toutes les professions, avec netteté, sans illusion, en dehors de tout esprit de système.
Il faut rechercher les meilleurs et les plus simples circuits de distribution commerciale.
Il faut connaître nos forces, nos faiblessess industrielles, déterminer les développements,. renouvellements ou créations d'outillages el de moyens d'étude qui s'imposent.
il faut que certaines professions, qui on connu des années de trop grande facilité reprennent le goût de l'initiative et du risque
Qu'elles n'attendent de mon Gouvernement aucune faiblesse. La protection, la subvention à tout prix, c'est la faillite pour tous. Ma sollicitude n'ira qu'à ceux qui s'en seront montrés dignes par leurs efforts.
Mais elle leur sera totalement acquise e ainsi, se renoueront entre l'État, le commerce et l'industrie, ces liens de confiance, sans lesquels rien de grand ne peut être accompli.
Les combinaisons financières, parasitaires et stérilisantes, devront disparaître devant l'honnêteté.
Qu'est-ce qu'un chef d'entreprise digne de ce nom?
Un homme qui, certes, a le droit et le devoir de faire fructifier les fonds qu'il possède ou qu'on lui a prêtés. Mais avant tout, c'est un homme, conscient et fier de ses responsabilités sociales, capable de commander à d'autres, de leur assurer le travail et la vie, un homme qui a la passion de créer et de produire.
Grande, moyenne, petite industrie, artisanat constituent les divers éléments de l'édifice industriel national et doivent collaborer harmonieusement pour assurer au pays le maximum d'activité et de bien-être.
Je ne tolérerais pas quon essayât de les dissocier ou de les opposer.
En effet, mesurées à l'échelle internationale, nos entreprises sont, en général, de modeste importance. Si cet état de choses, conforme à notre esprit national, peut avoir des conséquences sociales heureuses, il nous rend, dans certains domaines, incapables de lutter contre la concurrence extérieure.
Seules des unions convenables, dûment contrôlées par l'État remédieront à cette faiblesse. Il est d'ailleurs possible de donner du travail à certaines petites ou moyenne entreprises, aux dépens de quelques grande usines à activités trop nombreuses, et, ai total, d'abaisser le prix de revient.
La plupart de ces tâches ont déjà ét abordées par les comités d'organisation e par mes représentants. Il faut les poursuivr d'urgence, avec une volonté jamais lassée.
J'en ai assez dit pour faire sentir l'ampleur et le poids de la mission dévolue aux homm qui ont charge de l'organisation économique Il est indispensable qu'ils possèdent u autorité forte, pour jouer leur double rôle d'animateurs et d'arbitres. Rien ne doit affaiblir leur responsabilité, ni leur pouvoir contrôlé d'ailleurs par le gouvernement.
Les travaux que je vous confie exigeron sans doute, plusieurs sessions de votre commission.
Un projet d'ordre du jour, joint à cette déclaration, vous permettra de les entr prendre méthodiquement. J'ai la certitude que vous m'aiderez dans un grand élan d'union et de foi. Patrons grands et petit techniciens,, ouvriers, artisans, délégués d'organisations d'intérêt général, votre place a été soigneusement marquée dans cette commission. Deux agriculteurs siègent parmi vous, pour attester la solidarité de toutes les forces productives de la nation.
Je vous demande, enfin, de ne pas oublier que vous aurez à préparer, par une articulation judicieuse de l'économique et du social, les bases des futures corporations.
Comités sociaux de la Charte, d'une part, comités économiques réformés et fortifiés d'autre part, devront être les piliers de ces corporations dont les Français attendent pour une bonne part, la renaissance de la Patrie, et qui, sous le contrôle de l'État gardien de l'intérêt collectif, prendront demain la charge du destin économique et social de vos professions.
Que ce but reste présent à vos esprits. Gardez dans votre étude ce souci d'une construction logique et bien faite, ce goût de la valeur technique, ce sens des responsabilités et de l'autorité morale qui, dans la discipline librement consentie de tous les éléments de la production, permettront à la France de jouer son rôle et d'affirmer sa place dans le monde nouveau de demain.
(Ce message a été lu par M. CI. J. Gignoux, Président de la Commission.)