Lorsqu'il y a un an, à cette même date, je vous adressais mes voeux de Noël de 1941.
Les événements ne l'ont pas permis. La guerre n'est pas finie. Elle a pris, au contraire, une extension considérable, ravageant chaque jour des continents nouveaux, endeuillant des milliers de familles.
La nuit s'épaissit sur le monde. La paix tant désirée s'éloigne encore de l'espérance humaine, mais nos énergies sont intactes et nous restons dans la voie du devoir.
PRISONNIERS, MES AMIS
Je sais avec quelle force vous voulez le redressement national. Dans le recueillement et la solitude, vous ne cessez de vous élever, de cultiver vos intelligences, de fortifier vos coeurs, de magnifier vos âmes. L'écho nous en arrive, par vos écrits, et nous sommes frappés par la noblesse de vos efforts.
Unis dans la douleur, vous avez fait taire entre vous tous les dissentiments que peut engendrer la diversité d'origine, d'éducation, de fortune ou d'idéal. Plus d'individualisme et d'égoïsme dans vos rangs; vous mettez en commun vos dons personnels, qui sont votre seule richesse, comme les modestes envois que nous vous faisons parvenir. Enfin, vous êtes des hommes disciplinés et vous vous rangez, sans exception, derrière le Chef, sans chercher à discuter ses instructions ou ses ordres : vous savez qu'il est plus facile d'obéir que de commander, et vous exigez impérieusement le retour à un régime d'autorité.
Ainsi, malgré la distance qui vous sépare de vos compatriotes, vous leur donnez une grande leçon. Je voudrais, par la force de votre exemple, obtenir d'eux la même unanimité que celle qui règne dans les camps de prisonniers, et aussi le même désintéressement, le même oubli de soi, le même sentiment communautaire.
Je voudrais que l'intérêt général primât toujours les intérêts particuliers.
Prisonniers, mes chers amis, puis-je mieux travailler pour vous et préparer votre libération qu'en montrant à nos vainqueurs d'hier combien vous nous paraissez dignes d'estime.
Les Allemands ont su mesurer, dans vos camps, dans les activités diverses auxquelles vous participez, votre conscience et votre habileté laborieuse, votre ingéniosité, l'aménité de votre caractère; et je suis convaincu qu'ils prendront un jour en considération la nécessité du rapatriement des prisonniers français.
Je puis vous assurer que je mettrai tout en oeuvre pour que ce jour soit prochain.
Mes chers amis, ne vous laissez pas envahir par la tristesse. N'est-ce pas un grand réconfort de savoir que vous êtes aimés, que vous êtes l'unique préoccupation des membres de votre famille assemblés ce soir au coin du feu; on n'y parlera que de vous, des nouvelles apportées par votre dernière lettre, de celle qui partira le lendemain à votre adresse. On y formera des projets pour le moment de votre retour.
Lorsque vous lirez ce message chargé de tendresse et d'affection, un grand apaisement se fera en vous et ce jour-là, vous vous sentirez moins malheureux.
Bonsoir mes chers amis et bon Noël!