Allocution

du 27 mai 1944

 

Mes amis,

Ces journées...

J'ai vécu aujourd'hui une journée de rêve. je vais vous expliquer comment et pourquoi.

Nous sommes partis ce matin de Nancy, vers huit heures du matin. J'avais l'intention depuis longtemps, de venir chez vous, de venir vous voir, parce que J'ai contracté, envers votre ville, une dette. Seulement, c'était très difficile d'arriver jusqu'à vous. Alors on a dû combiner les voyages en voiture avec le train. Alors nous sommes partis, d'assez bonne heure, de Nancy, ce matin. Et puis alors, en voiture d'abord, nous voulions aller à Epinal. Puis voilà que, tout à coup, des nuées d'avions viennent passer au-dessus de nos têtes. Alors il a bien fallu s'arrêter, s'abriter au mieux, derrière des arbres, à l'abri de maisons, de façon à passer inaperçus. Et c'est comme ça que nous avons laissé passer des vagues d'avions qui allaient je ne sais où? En tout cas vers l'Est, et puis nous nous sommes remis en route, direction Épinal.

Je désirais beaucoup voir Epinal après les attaques dont cette ville avait été l'objet et, d'ailleurs, quand je suis arrivé là, j'ai été surpris par le... ce que j'avais sous les yeux... des décombres, des horreurs de toutes espèces. Épinal, Épinal complètement rasée. je ne crois pas que l'on puisse reconstruire Épinal sur le même emplacement, tellement cette ville a été mutilée. On sera obligé de faire des projets, des propositions, et puis nous verrons si nous pouvons les accepter. Et voilà le commencement de ma matinée, vous voyez qu'elle n'était pas très gaie.

Cependant, heureusement, un train nous attendait pour nous amener ici. je désirais formellement, n'est-ce pas, venir jusqu'ici et nous avions combiné de faire un voyage qui se terminait à Dijon. D'abord pour voir la municipalité, pour voir la ville, revoir la ville, revoir ses habitants et leur dire quel désir j'avais de venir les voir et de les retrouver.

Vous voyez comment nous avons été traités au cours de la route. Bref, nous avons perdu en route trois heures d'attente, au bord de la route, à l'abri des arbres et des maisons, avant de trouver le moment favorable pour continuer notre route.

Quelle épreuve ça a été pour moi de voir cette ville anéantie pour ainsi dire, la douleur des habitants. J'ai voulu, j'ai essayé de les réconforter un peu, en leur faisant des promesses que j'ai d'abord l'intention de tenir: c'est de les aider à reconstruire leur ville. Mais les conversations que j'ai eues avec les habitants de cette ville détruite, ces conversations étaient vraiment déchirantes, de voir des enfants, des parents dans la désolation complète, sans savoir ce [qu'ils] deviendraient.

Et enfin nous avons regagné notre train qui nous attendait un peu plus loin, et nous sommes arrivés ici par une chaleur que vous concevez très bien. Nous avons déjeuné dans le train malgré tous nos ennuis, je dois l'avouer, et puis alors on est venu me réveiller quand on est arrivé à Dijon. je vous présente quelqu'un qui était en train de dormir lorsque nous avons accosté à la gare.