Après sa condamnation par la Haute Cour de justice, Philippe Pétain, Maréchal de France, est incarcéré successivement de 1945 à 1951 dans deux prisons : le fort du Portalet dans les Pyrénées et la citadelle de la Pierre-Levée au centre de l'île d'Yeu, en Vendée. Il est le plus vieux prisonnier du monde et, à partir de mars 1949, il n'a plus de nom : il est désormais le " condamné de la Citadelle ", vocables employés dans les communiqués des médecins.
Le Maréchal séjourne au fort du Portalet du 15 août au 16 novembre 1945 ; il y est soumis à un régime de torture morale sans aucune comparaison avec le traitement qu'y subirent pendant la guerre le général Gamelin, Georges Mandel, Paul Reynaud, Léon Blum. Il y occupe la cellule n° 5 (celle de Georges Mandel). C'est sans conteste, pendant son séjour au fort du Portalet que le Maréchal souffrit le plus moralement. Peu de temps avant son transfert à l'île d'Yeu, ses avocats Jacques Isorni et Jean Lemaire, venus lui rendre visite, annoncent au Maréchal leur intention de passer par Lourdes avant de regagner Paris ; celui-ci leur dit : " Ah ! Vous allez à Lourdes ? Alors, parlez de moi à la Dame de Lourdes ".
Un autre jour, dans un moment de dépression et de cafard, le Maréchal, regardant les barreaux de sa cellule, déclare à maître Isorni : " Heureusement qu'ils sont là, ils me protègent de moi-même ", et à son geôlier : " S'il n'y avait pas de barreaux à la fenêtre, je me serais jeté dans le Gave ".
Le 16 novembre 1945, le maréchal Pétain quitte le fort du Portalet pour l'île d'Yeu an passant par Pau et Bordeaux ; il embarque à La Pallice sur un escorteur de la Royale " l'Amiral Mouchez " commandé par le capitaine de frégate Destremau, qui le reçoit avec les égards dus à un Maréchal de France ! Honneur soit rendu à la Marine !
L'arrivée à Port-Joinville (île d'Yeu) se fait par mauvais temps et le débarquement se déroule dans des conditions difficiles. Le Maréchal fait conduit immédiatement à la Citadelle de la Pierre-Levée où il y séjournera pendant 2052 jours (jusqu'au 29 juin 1951). Il est installé dans les deux pièces qui lui avaient été réservées et auxquelles on accédait par un escalier abrupt d'une trentaine de marches, les autorités ont pris soin de garnir les fenêtres de barreaux !
La Maréchale Pétain s'installe à l'île d'Yeu deux mois après l'arrivée de son mari : elle prend pension à l'hôtel des Voyageurs tenu par Gontran Nolleau, dans une annexe de l'hôtel au premier étage, avant de descendre, vers la fin de son séjour, au rez-de-chaussée. Chaque jour, à partir du moment où elle reçoit l'autorisation de séjourner à l'île d'Yeu, la Maréchale fait à pied le trajet de son hôtel à la Citadelle pour rendre visite au Maréchal avant qu'une voiture, fruit d'une collecte, ne l'y transporte.
Le premier " geôlier " du Maréchal à l'île d'Yeu est Joseph Simon ; il l'avait été auparavant au fort de Montrouge (avril 1945) et au fort du Portalet. Le second fut, à partir d'octobre 1949, Charles Boulay.
Le maréchal Pétain a deux aumôniers à l'île d'Yeu : le Curé-doyen, l'abbé Pontoreau, et à partir de septembre 1949, l'abbé André Bailly. Le premier juge le prisonnier : " C'était une grande et belle âme : force de caractère, bonté, patience, telles sont les vertus que j'ai vues chez celui que le sort m'a fait connaître " ; au second le Maréchal dit un jour, lui désignant le drapeau tricolore flottant en haut du mât du fort : " Si je ne l'avais pas pour me soutenir, je ne sais pas ce que je deviendrais ". Il administrera l'extrême-onction au Maréchal le 8 avril 1951. Le 24 avril 1946, pour son quatre-vingt-dixième anniversaire, ses avocats rendent visite au Maréchal pour la première fois. Ce dernier leur confie : " Vous ne savez pas comme je souffre ! Je souffre terriblement, même quand je ne dis rien, et surtout quand j'ai l'air de rire. Mais je souffre sans me plaindre. Je ne me plaindrai jamais. " Par lettre datée du 27 juin 1946, les avocats du Maréchal protestent, auprès de Georges Bidault, Président du Gouvernement provisoire, contre le régime qui lui est appliqué au fort de l'île d'Yeu : Bidault charge son directeur de Cabinet de leur répondre " que les droits du détenu étaient exactement respectés ".
A la fin de l'année 1946, c'est une grande solitude qui pèse sur le Maréchal malgré la visite, le jour de l'An, de ses avocats qui lui apportent de très nombreuses lettres de vSux, dont celle du général Weygand, qui le touche particulièrement.
Le 10 février 1947, Jacques Isorni et Jean Lemaire sont reçus par le Président de la République, Vincent Auriol, à qui ils demandent de prendre une mesure administrative de nature à améliorer la condition de prisonnier du Maréchal. Il les adresse à André Marie, Garde des Sceaux, qui refuse de les recevoir. Ils renouvelent leur demande par un mémoire daté du 20 février auquel André Marie répond le 27 février " qu'il a décidé de continuer à appliquer à Philippe Pétain, sans brimades comme sans faveurs, le régime que fixe, pour tout détentionnaire, le décret du 25 mai 1872 ". Le 10 avril 1947, l'Academie française intervint auprès de Paul Ramadier, président du conseil, en faveur du Maréchal : peine perdue. Le 10 juillet 1947, le Maréchal reçoit les membres de la commission parlementaire d'enquête sur les événements survenus en France de 1933 à 1945 ; selon maître Isorni " le Maréchal est merveilleux de dignité, de simplicité et d'esprit de répartie (exemples : " Que pensez-vous de Paul Reynaud ? C'est un homme petit en tout ; Que pensez-vous d'Albert Lebrun ? : rien "). Les commissaires, en quittant le Maréchal, ne peuvent dissimuler leur " émotion ". La fin de l'année voit les premières défaillances physiques et mentales atteindre le Maréchal.
En mars 1948, est constitué, sous l'impulsion des avocats, un " Comité pour la libération du Maréchal " au sein duquel figurent entre autres les noms du cardinal Liénart, André Chaumeix, Henry Bordeaux, Jérôme et Jean Tharaud, l'amiral Lacaze de l'Académie française, la Maréchale Joffre, les généraux George, Serrigny, Lafont. A la suite de quoi le ministre de l'Intérieur et le Préfet de police font interdire au Comité toute activité. Le Maréchal, par lettre datée du 23 avril, s'adresse au Garde des Sceaux : " J'ai appris dans ma cellule la constitution d'un comité qui se propose de demander ma libération. Je remercie ceux qui ont pris cette initiative mais, conscient des services rendus à mon pays, je n'ai rien demandé et ne demanderai rien. C'est vers ceux qui m'ont obéi et qui sont emprisonnés que va d'abord ma pensée. C'est leur liberté qui m'importe et qui importe à la France. Pour ma part, j'ai fait le sacrifice de ma personne et je ne songe qu'à l'union des Français ". La fin de l'année voit une aggravation sensible et un déclin dans l'état de santé du Maréchal.
A partir de 1949, la forteresse de la Pierre-Levée devient une prison-infirmerie. Au cours de l'année 1949, plusieurs faits traduisent le trouble occasionné par le régime inhumain subi par le Maréchal, dont deux significatifs : le premier au cours d'un dîner où l'archiduc Otto de Habsbourg manifeste à Jacques Isorni la respectueuse admiration qu'il éprouve à l'égard du Maréchal ; le deuxième, quand le général De Gaulle déclara à un journaliste, au cours d'une conférence de presse tenue au Palais d'Orsay, le 29 mars : " Aujourd'hui, il y a un vieillard dans un fort ; un vieillard dont moi et beaucoup d'autres reconnaissons qu'il a rendu de grands services à la France ; nous ne l'oublions pas et ne devons pas l'oublier ". En juillet, le Président du Conseil Henri Queuille intervient auprès du Garde des Sceaux pour que la Maréchale soit autorisée à partager la captivité du Maréchal. C'est en juillet également que la direction du fort change de titulaire ; Charles Boulay remplaçe Joseph Simon.
En mars 1950, les autorités très prévoyantes (!) font livrer à la Citadelle un cercueil ! Ce même mois, le général De Gaulle déclare devant les journalistes français et étrangers, peut-être soudainement pris de remords ? : " C'est un opprobre de laisser en prison un homme qui va avoir quatre-vingt-quinze ans ; c'est une responsabilité qu'on devrait faire en sorte de n'avoir pas sur les épaules ". Cette même année, sous la pression de l'opinion, le Garde des Sceaux fait transférer le Maréchal dans une casemate de la Citadelle, aménagée au rez-de-chaussée. A la même époque, Jacques Isorni et Jean Lemaire déposent au Mémorial de Verdun une gerbe de fleurs portant l'inscription " Aux soldats de Verdun et à leur chef, le Maréchal Pétain ", et à la cathédrale de Paris, Monseigneur Feltin, archevêque, fait prier pour le Maréchal, ce qui provoque la sortie précipitée du Préfet. Le 16 mai, René Mayer, ministre de la Justice, reçoit en audience officielle les avocats du Maréchal qui lui présentent une requête en révision transmise à la fin du mois de juin au parquet de la Haute Cour de Justice. Le 25 juin, parait un communiqué des médecins : " Le déclin des conditions physiques générales est plus évident chaque jour ".
Le 29 décembre 1950, dans un de ses derniers moments de lucidité, le Maréchal déclara à ses avocats venus lui rendre visite : " Nous avons vécu des heures et des jours pénibles ; ils comptent entre nous ; nous ne savons pas ce que sera demain, mais nous sommes liés pour toujours ; vous savez quelle est, maintenant, mon affection pour vous ; j'ai confiance en vous, et je vois sur vos visages que je ne me suis pas trompé ; je vous ai confié une mission ; il faut aller jusqu'au bout. "
Depuis le début de l'année, l'état de santé du Maréchal n'a cessé de s'aggraver. Cependant, le 24 avril, entouré de sa famille et de ses avocats, le Maréchal fête son quatre-vingt-quinzième anniversaire.
Peu de temps auparavant, le Président du Conseil, Henri Queuille, a fait part aux avocats de sa décision de faire enterrer le Maréchal revêtu de son uniforme de Maréchal de France : " C'est une joie, une joie immense pour moi " dit la Maréchale en apprenant la nouvelle.
Le 8 juin, le Président de la République, statuant en Conseil supérieur de la magistrature, décrète : " La détention perpétuelle, dans une enceinte fortifiée, prononcée contre Philippe Pétain, est commuée en résidence dans un établissement hospitalier ou tout autre lieu pouvant avoir ce caractère. "
En application du décret précité, le Maréchal est transporté le 29 juin dans une maison située à Port-Joinville même ; elle a été choisie par ses avocats et appartient à maître Luco, avocat et ancien conseiller général de la Vendée. La nouvelle résidence du Maréchal est située en face de la villa " Les Simounelles " où ce dernier a eu l'occasion de séjourner pendant une visite qu'il fit en 1921 ! Le transfèrement du Maréchal de la Citadelle à la maison Luco est effectué sous la responsabilité du médecin-général Tabet, qui ne peut s'empêcher de déclarer à son collègue le médecin-capitaine Maître : " La France est déshonorée d'avoir traité ainsi ce vieillard ". Une plaque en bois est apposée à droite de l'entrée de la maison Luco portant l'inscription : " Hôpital militaire de Nantes-annexe de l'île d'Yeu ".
A partir du 8 juillet, le Maréchal commence à décliner doucement ; il entre en agonie le 18; elle durera cinq jours.
Le 23 juillet, à 9 h 22, le maréchal Pétain cesse de vivre ; le médecin-capitaine Maître annonce à la Maréchale le décès de son mari en prononçant ces quelques mots : " Madame, le Maréchal de France n'est plus ". Le Maréchal est revêtu de son uniforme portant une seule décoration, la Médaille Militaire. Lla dignité de Maréchal de France sera inscrite sur les actes de l'état civil.
La Maréchale reçoit , le jour même, plusieurs milliers de messages de condoléances dont ceux de la Maréchale Joffre et du général Juin.
Le 24 juillet, les Anciens Combattants à qui on avait refusé la possibilité de s'incliner devant la dépouille du Maréchal, organisent une veillée devant la maison mortuaire : des voix s'élèvent dans le silence nocturne " Saints et saintes de France, priez pour notre vieux chef ! Monsieur le Maréchal, pardonnez à la France ! "
De nombreuses manifestations de fidélité au Maréchal ont lieu à travers la France, en particulier dans la capitale où les Parisiens se rassemblent sous l'Arc de Triomphe de l'Etoile devant la tombe du Soldat inconnu et y déposent des fleurs qui forment une immense croix.
Le 25 juillet, se déroule à l'église Notre-Dame-de-Bon-Port, le service funèbre à la mémoire du Maréchal : le cercueil, recouvert d'un drapeau tricolore, est placé devant l'autel, d'un côté se tient la Maréchale, de l'autre ont pris place en grand uniforme les généraux Weygand et Héring et l'amiral Fernet ; les autorités ecclésiastiques sont représentées par Mgr Chappoulie, évêque d'Angers ; Mgr Rodhain, aumônier général des prisons ; Mgr Cazeaux, évêque de Luçon. Ce dernier prend la parole et arrive à sa conclusion : " Nous prierons pour que Dieu pardonne les péchés et couronne les mérites de cette longue et tragique existence, et nous prierons même car je suis sûr qu'il le veut bien, pour ce qui fut le rêve et le vSu de sa vie : l'union des Français et le salut de la Patrie ".
Après la cérémonie funèbre, le cortège prend le chemin du cimetière marin de l'île d'Yeu : derrière le cercueil, un Ancien Combattant porte, sur un coussin noir, le képi du Maréchal et la médaille militaire ; derrière encore, s'avancent Pierre de Hérain, beau-fils du Maréchal, les généraux Weygand et Héring, l'amiral Fernet, les avocats du Maréchal, Jacques Isorni et Jean Lemaire, et de nombreuses personnalités. Le cercueil est descendu dans la fosse recouverte d'une dalle blanche portant l'inscription en lettres de bronze : " Philippe Pétain, Maréchal de France ". La tombe est orientée face au continent ; elle est surmontée d'une croix semblable à celle de nos cimetières militaires. L'illustre soldat repose provisoirement à l'île d'Yeu, en attendant sa réhabilitation et son retour au milieu de ses Poilus à l'Ossuaire de Douaumont où sa place est réservée.