La première audience du procès a lieu le lundi 23 juillet à 13 heures. La présidence est assurée par Mongibeaux, président de la Cour de cassation, assisté de Donat-Guigue, président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, et de Picard, premier président de la Cour d'appel de Paris.
L'accusation est soutenue par le procureur général Mornet. La défense du maréchal Pétain est assurée par trois avocats : le bâtonnier Payen, Jacques Isorni et Jean Lemaire. Vingt-quatre jurés ont été désignés en fonction de critères essentiellement politiques. Ils ont été tirés au sort à partir de deux listes portant : l'une, les noms des parlementaires n'ayant pas voté, le 10 juillet 1940, les pleins pouvoirs au Maréchal ; l'autre, des noms fournis par les organisations de la Résistance.
Le maréchal Pétain se présente devant la Cour revêtu de son uniforme avec comme seule décoration la Médaille Militaire décernée aux généraux ayant commandé en chef devant l'ennemi. Il lit, debout, une déclaration commençant par ces mots : " J'ai passé ma vie au service de la France " et se terminant par " Ma vie m'importe peu, j'ai fait à la France le don de ma personne ; c'est à cette minute suprême que mon sacrifice ne doit plus être mis en doute. "
L'acte dressé par Mornet, accuse le Maréchal d'avoir été " le drapeau de la Cagoule " dont les membres se proposaient " de prendre le pouvoir pour instituer un régime sur le modèle de Franco, en utilisant les services de celui-ci et, au besoin, l'appui d'Hitler (&) lequel s'était montré favorable au projet des conjurés, leur avait même fourni un concours financier, en même temps que promis un appui militaire " (JO du procès, page 7c).
Et de conclure en accusant Pétain d'avoir " entretenu des intelligences avec l'ennemi, en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes. Crime prévu par les articles 87 et 75 du code pénal " (JO du procès, page 8c)
Deux témoins cités par l'accusation font sensation par leur attitude : l'ambassadeur de France, Charles-Roux, ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères qui entre en s'inclinant avec déférence devant le Maréchal et le commandant Loustaunau-Lacau ; ce dernier, ancien officier d'ordonnance du maréchal Pétain, est passé très tôt à la Résistance et a été déporté au camp de Mathaussen ; très affaibli par son séjour en Allemagne, il fait sa déposition assis et la termine par ces mots de mépris à l'adresse de certains témoins de l'accusation : " Je ne dois rien au maréchal Pétain, mais cela ne m'empêche pas d'être écSuré par le spectacle de ceux qui, dans cette salle, essaient de refiler à un vieillard presque centenaire l'ardoise de toutes leurs erreurs. "
Les témoins de l'accusation sont, entre autres, Paul Reynaud, ancien Président du Conseil, qui déclare que le Maréchal a commis un acte de trahison en signant l'armistice ; Edouard Daladier, ancien Président du Conseil ; l'ancien Président de la République, Albert Lebrun ; l'ancien Président du Sénat, Jeanneney, qui reproche au Maréchal d'avoir outrepassé ses pouvoirs et qui reste silencieux à la question de maître Isorni : " Qu'avez-vous fait pour protester ? " ; le Président Herriot, qui déclare qu'il fallait poursuivre la guerre, et que pour cela le gouvernement devait se rendre en Afrique du Nord ; l'ancien Président du Conseil, Léon Blum, qui critique les parlementaires ayant voté les pleins pouvoirs au Maréchal et les magistrats lui ayant prêté serment de fidélité.
L'intervention des témoins de la défense est marquée en particulier par la déposition du général Weygand et son duel oratoire contre Paul Reynaud.
Le général Weygand déclare en particulier : " Paul Reynaud a déclaré qu'après m'avoir donné la direction du haut commandement, il avait songé à me limoger, mais il ne l'a pas fait ; il a déclaré également qu'il n'avait pas confiance en nous ; s'il n'avait pas confiance, pourquoi nous a-t-il fait venir ? Enfin, il a pensé à nous destituer, moi et le Maréchal Pétain, mais il ne l'a pas fait. " Devant Paul Reynaud qui marque le coup, le général lançe de sévères apostrophes : " Dans cette affaire, Mr. Paul Reynaud, Président du Conseil, dans des circonstances graves, a fait preuve du crime le plus grave que puisse commettre un chef de gouvernement ; il a manqué de fermeté et il n'a pas suivi les grands ancêtres, certes pas ! Et alors, que se passe-t-il ? C'est que maintenant, retiré des responsabilités, après qu'à l'Assemblée du 10 juillet, il n'a même pas osé voter, après qu'il a accepté du Maréchal Pétain d'aller à Washington, il ose dire ce qu'il dit et nous accuser, nous - des hommes comme nous - de trahison ! Ah ! Messieurs, non ! ".
D'autres témoins de la défense font des dépositions remarquables, en particulier le général Laffargue, ancien chef d'état-major du général de Lattre de Tassigny, qui comparait dans sa tenue de guerre, avec l'insigne " Rhin et Danube " ; le lendemain de sa déposition, on lui retire son commandement ! ; le prince Xavier de Bourbon-Parme, de retour de déportation, qui cite des paroles à lui adressées par le Maréchal : " Je tâche de sauver ce que je peux sauver de l'Etat français ; inévitablement, après moi, à la paix, nous reviendrons nécessairement à la République " ; l'ancien Président du Conseil, Pierre Laval, qui déclare : " Le maréchal Pétain n'a jamais eu le goût de la dictature : il en avait passé l'âge ; d'autre part, dans la loi constitutionnelle que j'ai moi-même rédigée, j'ai maintenu le mot République " ; les principaux membres du cabinet du Maréchal, témoins de la pensée intime : Jardel, Tracou, Lavagne, Estèbe, pour lesquels on avait envie de crier : " Vive la Fidélité ! " ; l'amiral Bléhaut, le général Débeney emmenés en captivité avec le Maréchal par les Allemands en 1944 ; les généraux Bergeret, George, Héring, Lacaille, Picquendard, Picard, Serrigny, Vauthier ; les anciens ministres du Maréchal : Yves Bouthillier, Marcel Peyrouton, Jacques Chevalier ; le général Juin, vainqueur du Garigliano et chef de l'armée d'Afrique, qui avait eu l'intention de venir témoigner sous réserve de l'autorisation du général De Gaulle, se vit dans l'impossibilité de le faire ; De Gaulle l'ayant envoyé intentionnellement en mission en Allemagne. Il a adressé un témoignage écrit en faveur du Maréchal alors que les avocats avaient souhaité, à l'origine, sa déposition orale.
Le samedi 11 août, le procureur général Mornet termine son réquisitoire par ces mots : " Arrivé moi aussi au déclin de ma vie, non sans une émotion profonde, mais avec la conscience d'accomplir ici un rigoureux devoir : c'est la peine de mort que je demande à la Haute Cour de justice de prononcer contre celui qui fut le maréchal Pétain. " Mornet est un survivant des grands procès de trahison jugés au cours de la guerre 14-18 : il avait requis dans l'affaire Caillaux, dans le procès de Mata-Hari. Son réquisitoire ne tient aucun compte des faits révélés par les dépositions des témoins de la défense.
La mesure de son parti pris est mise en évidence dans nombre de ses accusations. Le cas le plus frappant est donné par son interprétation de l'entrevue Pétain-Tuck du 8 novembre 1942 à l'issue de laquelle le chargé d'affaires américain rend compte à Washington par le message suivant : " Comme je me levais pour prendre congé , le Maréchal me prit les deux mains dans les siennes, me regarde droit dans les yeux et sourit. Il m'accompagna jusque dans l'antichambre et retourna d'un pas guilleret vers son bureau en fredonnant un petit air " (Foreign relations of the United States, 1942, vol.11, page 430 à 432). Bernard Ménétrel qui était présent précisera que c'était un air de chasse. Et Woodruff Wallner, membre de l'ambassade américaine à Vichy, rapporte le compte rendu oral de Tuck : " Pétain a eu un geste aimable . Il semblait soudain avoir rajeuni de vingt ans. Ses yeux bleus étaient clairs et pétillants. Le débarquement paraissait être loin de lui déplaire. Il semblait heureux comme un pape, il m'a raccompagné en chantonnant " (témoignage cité par Tournoux dans Pétain et la France, page 411).
Quant à Jean Jardel, secrétaire général du Chef de l'Etat, qui assistait à l'entretien, il note dans son compte rendu quotidien : " Monsieur Tuck quitte le Maréchal les larmes aux yeux. Le Maréchal lui serre la main " (rapport Jardel-MAE, papiers 1940).
Ces quelques mots, sortis de leur contexte, sont exploités avec une malhonnêteté insigne, voire criminelle, par le Procureur général qui ne mentionne pas le message de Tuck, mais cite et interprète à sa manière le texte de Jardel dans lequel il voit, déclare-t-il devant la Haute Cour, " la déception émue d'un ami de la France devant l'attitude de ceux qui prétendent la représenter " (JO du procès, page 3346).
Par cette falsification, Mornet demeure prisonnier de son acte d'accusation selon lequel Pétain était " un associé du Führer " (JO, page 8c). Il sait que la fable qu'il a écrite et récitée serait ruinée s'il analysait loyalement ce témoignage capital sur la stratégie expectante du Maréchal en faveur des alliés.
Les 13 et 14 août sont consacrés aux plaidoiries des trois avocats du Maréchal, le bâtonnier Payen, Jacques Isorni et Jean Lemaire.
Maître Payen déclare : " Messieurs, Mr. le Procureur Général nous parlait, samedi, de son émotion. Je me lève moi, devant vous, avec une immense tristesse ". Il poursuit sa plaidoirie en parlant de la gloire passée et du grand âge du Maréchal, ce qui provoque un agacement manifeste de ce dernier ; il évoque l'armistice de 1940 qui, selon lui, était inévitable et nécessaire ; il réfute l'accusation de complot proférée à l'encontre du Maréchal.
Maître Lemaire prend à son tour la parole : il attaque personnellement le procureur général Mornet : " Vous êtes un serviteur passionné de la loi et du Gouvernement " et il conclut sa plaidoirie en disant : " Non, il n'y a pas eu de crime contre la République et contre la Nation, et je vous demande de laver l'honneur du Maréchal ".
Après une suspension d'audience, Jacques Isorni entame une plaidoirie brillante, émouvante et particulièrement écoutée : notamment, il s'adresse directement aux jurés non parlementaires avec beaucoup d'émotion ; il se charge de défendre la politique intérieure du Gouvernement de Vichy ; et, à la question : " Et nos morts " que lui adressa un des jurés, Maître Isorni répondit : "Ces morts, croyez-moi, nous les pleurons ensemble ". L'avocat réussit à troubler profondément les jurés par les derniers mots de sa péroraison : " Messieurs, au moment même où la paix s'étend enfin au monde entier, que le bruit des armes s'est tu et que les mères commencent à respirer, ah ! que la paix, la nôtre, la paix civile, évite à notre terre sacrée de se meurtrir encore ! Magistrats de Haute Cour, écoutez-moi, entendez mon appel. Vous n'êtes que des juges ; vous ne jugez qu'un homme. Mais vous portez dans vos mains le destin de la France. "
Comme prévu, maître Payen reprend la parole, après l'émouvante intervention de Jacques Isorni, et termine en déclarant : " Oui, j'ai confiance. Et j'allais dire, quelle que soit votre décision - mais je ne veux pas douter de votre décision - il y a un mot qui doit être le dernier mot qui retentira ici : je le prononce, je le crie de tout mon cSur, en mon nom, en son nom et, d'accord n'est-ce pas, avec vous aussi : Vive la France. "
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A l'issue des plaidoiries de ses avocats, le maréchal Pétain lit une déclaration qui se termine par ces mots : " Disposez de moi selon vos consciences. La mienne ne me reproche rien car, pendant une vie déjà longue et parvenu par mon âge au seuil de la mort, j'affirme que je n'ai eu d'autre ambition que de servir la France. "
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La condamnation de l'illustre soldat était inéluctable du fait des choix politiques qui avaient présidé à la nomination du Procureur général et des jurés.
L'arrêt prononcé à quatre heures du matin, le 15 août 1945, jour de l'Assomption, s'inspire des " thèses " développées par Mornet dans l'acte d'accusation et dans son réquisitoire. A la majorité d'une voix, le Maréchal est condamné à mort pour " intelligence avec l'Allemagne " et pour avoir " demandé l'armistice " afin de " prendre le pouvoir " en vue d'instaurer une politique dont l'objet était " de détruire ou changer la forme du gouvernement " (JO du procès, page 386c).
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Cette fable n'a pas résisté au jugement de l'histoire et de l'adversaire lui-même. Ainsi Goering avouait que " l'armistice fut la plus grosse faute du Führer " (Cité par Tournoux dans Pétain et la France, page 154). Ce qui signifie, par antiphrase, que la signature de l'armistice fut pour la France et ses alliés un acteur sauveur ". Et Henri Amouroux, dans La page n'est pas encore tournée, écrit : " Aujourd'hui, la nécessité de l'armistice n'est pratiquement pas remise en cause ".
Conscient de ce fait, des lobbies appuyés par de puissants médias procèdent désormais à un retournement historiographique au terme duquel l'amalgame Pétain-Auschwitz est substitué au couple Pétain-Hitler inventé en 1945 par un tribunal politique. Mais La question juive est une autre histoire qui, lors du procès du Maréchal, ne fut jamais évoquée ni par les jurés dont Jean Pierre-Bloch, ni par les témoins à charge dont Léon Blum.